Délibération
Je me revois souvent petite fille, assise sur les escaliers de la maison, à rêvasser. Et puis ma mère venait me rejoindre et ensemble on regardait les étoiles. Elles étaient toujours des milliers, je m’amusais souvent à les compter, je leur donnais même un nom. Ma mère riait. J’avais six ans.
J’en ai trente-six maintenant, et je regarde toujours les étoiles. Mais elles sont moins nombreuses à cause des lumières de la ville. Mais je me surprends parfois à croire que je reconnais l’une d’elle et que par son scintillement, elle me fait un signe. C’est stupide mais si magique en même temps.
Mais la réalité me rattrape et je me dis que peut-être elle est déjà morte. Le temps que sa lumière vienne a nous, il est possible qu’elle se soit éteinte à jamais. En quelque sorte, je regarde vers le passé. Ce que je fais depuis toujours. Je regarde vers le passé.
Si maintenant je regardais un point noir dans le ciel, peut-être que je regarderai vers le futur, l’endroit où une future étoile est en train de voir le jour. Mais je n’y arrive pas, je préfère accrocher mon regard à une chose que je connais : cette étoile à qui j’ai donné un nom ou tout simplement à mon passé.
C’est tellement plus facile de revenir sur son passé. Se reprocher des actes qu’on a pu faire ou bien au contraire, qu’on n’a jamais eu le courage d’accomplir.
Si ma mère n’était pas partie, aurai-je été la même femme ? Je ne serais peut-être même pas ici en ce moment. Mais le problème est qu’elle est partie, en me laissant derrière elle. Elle a réussi à regarder vers le futur, faisant abstraction du passé. Si seulement je pouvais faire pareil.
Mais je ne le peux pas.
De même, si je n’avais jamais commencé à boire, je ne serais certainement pas là non plus à regarder les étoiles. Mais là est tout le problème, le passé est le passé. Il est impossible de le modifier, il faut continuer à vivre, même si on a envie que notre vie ne soit pas la même.
Je suis lieutenant-colonel, jusque là ça va. J’ai réussi professionnellement. Mais personnellement alors ? Je ne suis pas mariée, mais veuve et par ma faute. J’ai tué mon mari. J’aurais du divorcer de lui quand j’en avais la possibilité, mais au lieu de ça, j’ai préféré fuir mes responsabilités. La conséquence dramatique de ma fuite, Chris a trouvé la mort. La même chose pour Dalton, il est mort. Et encore une fois par ma faute. Mais c’est du passé, et je vis dans le passé. Pourquoi ?
Par crainte de vivre mon futur. Voilà la réponse à ma question. Et si mon futur s’annonçait aussi sombre que mon passé. Et si d’autres fantômes rejoignaient ceux du passé. Si d’autres déceptions se rajoutaient à celles que je connais déjà. Je trouve qu’il y a beaucoup de « si » et c’est comme ça depuis mon adolescence. Toutes mes réflexions commencent par des « si ».
Voilà la raison, je manque de confiance en moi et surtout en mes choix. Et si tout était en rapport avec cette crainte de moi-même. C’est peut-être cette peur qui me fait prendre les mauvaises décisions, comme celle d’épouser Mic. J’avais si peur de me retrouver seule que j’ai accepté par crainte de ne pas trouver autre chose. Un mauvais choix en finalité. Heureusement, il n’y a pas eu de mort, il est seulement reparti avec le cœur brisé. Seulement ça ! Mic n’a pas failli perdre la vie par ce choix, mais Harm si !
Il a bien failli. Je m’en voudrais toujours d’avoir causé du tord à Harm. Il a voulu affronter la tempête pour me rejoindre et m’accompagner alors que j’épousais un autre homme. Et pourtant, je sais à quel point cet homme m’aime. Je l’ai compris depuis longtemps même si je fais la sourde oreille. Parfois les mots sont inutiles, les regards en disent long sur les sentiments qui nous habitent.
A-t-il compris mon regard ? Je le pense, mais nous sommes pareils, nous regardons trop souvent vers le passé. Il a peur d’abandonner femme et enfant, comme son père l’a fait. Je crois même que bien qu’il dise le contraire, il ne l’a jamais vraiment pardonné à son père. Il l’a prit comme une trahison.
Et si j’abandonnais mes enfants tout comme ma mère. Je n’ai pas abandonné Cholé, mais bien pire que ça, je ne demande même plus de ses nouvelles. La dernière fois que je l’ai eu au téléphone date d’il y a bien longtemps. Je ne lui ai même pas proposé depuis des années de venir chez moi. Je considère qu’elle a une vraie famille et qu’elle n’a plus besoin de moi. Mais ses lettres montrent bien qu’elle veut de moi. Alors pourquoi est-ce que je ne réagis pas. Suis-je si insensible ? Je suis peut-être comme ma mère. Qui se fiche du mal qu’elle peut engendrer autour d’elle.
Ca y est, les larmes ont eu raison de moi. Les étoiles ne parsèment même plus le ciel, elles ont laissé leur place aux imposants nuages. Il va pleuvoir. Est-ce que le ciel ressent ma peine, pour aussi bien la traduire.
J’ai aujourd’hui la possibilité de changer de direction. Et si je prenais mes responsabilités pour une fois. Commençons petit avant tout. Je ne demande pas de faire un grand changement dans ma vie, juste un petit acte qui pourrait tout changer.
Un coup de téléphone pour me faire pardonner. Et si j’allais directement chez eux. Ca me soulagerait tellement de les serrer dans mes bras, depuis le temps que je ne l’ai pas fait.
Je vais téléphoner.
« Bonsoir… Comment vas-tu Chloé ? »
Un jour, ce sera au tour de Harm. Bientôt ?
Mais avant, essayons de rattraper le passé, pour mieux avancer dans le futur. Ma vie est en train de prendre un tournant, je le sens et je le sais. Dans un futur proche, je serais heureuse. Avec mes enfants et mon mari.
Harm ? Je l’espère.
FIN.